Faisons évoluer la législation sur les centres dentaires associatifs (dits « low-cost ») pour éviter la survenue de nouveaux scandales de masse
Texte législatif
Faisons évoluer la législation sur les centres dentaires associatifs (dits « low-cost ») pour éviter la survenue de nouveaux scandales de masse
Le ferment des scandales liés aux centres dentaires associatifs est identique : la loi de 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (abrégée en HPST : Hôpital, patients, santé et territoire), plus connue sous le nom de « loi Bachelot ». Au motif de moderniser, faire des économies et rationaliser l’offre de soins, la possibilité est donnée par le législateur d’ouvrir des centres de santé créés sous la forme d’associations loi de 1901 à but non-lucratif, le tout sans agrément (une simple déclaration suffit accompagnée de la transmission d’un projet de santé et d’un règlement intérieur).
L’idée sous-jacente parait vertueuse : définir des établissements permettant « l’accès de tous à des soins de qualité », avec une forme associative garantissant que les bénéfices issus de l’exploitation du centre ne seront pas redistribués à des actionnaires (pour prémunir le système contre toute velléité de marchandisation de la santé). Or, les effets de la loi HPST sont mal anticipés et l’exact inverse peut se produire.
Aujourd’hui, il apparait clairement que le problème posé par les centres dentaires « low-cost » n’est plus seulement le fait d’un individu isolé, ou d’un petit groupe d’individus, qui profiteraient de l’absence de garde-fous suffisants pour perpétrer des exactions. Il s’agit d’un phénomène devenu structurel, avec la démultiplication du nombre de centres implantés sur le territoire national, y compris dans des zones déjà bien pourvues en offre de soins dentaires. Cette situation s’explique par le fait que l’activité dentaire est intrinsèquement lucrative, notamment lorsqu’on la focalise sur l’implantologie et la prothétique hors nomenclature et/ou qu’on la dirige massivement vers certaines classes socioéconomiques (ex : CMUs, classes moyennes inférieures). Pour rappel, les centres dentaires associatifs sont censés être des « structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours qui réalisent à titre principal des prestations remboursables par l’assurance maladie. » Dans son rapport « Charges et produits » du 2 juillet 2020, la CNAM s’interroge sur le développement important de ces centres de santé dentaire dans certaines régions ou en périphérie de grandes villes (pour bénéficier de loyers plus modérés) où l’offre de soins est pourtant déjà fortement développée : « Si de telles structures peuvent permettre d’améliorer l’accès aux soins de publics précaires ou éloignés du système de soins, il apparaît qu’un certain nombre de centres récemment créés détournent les finalités de la réglementation (détournement du statut d’associations à but non lucratif) pour s’installer sur des territoires où l’offre de soins bucco-dentaires est abondante et se positionner sur une offre de soins essentiellement lucrative, particulièrement sur des activités prothétiques et d’implantologie hors nomenclature, au détriment des actes de soins conservatoires et de prévention ». Loin de remédier aux manquements de la loi Bachelot, en simplifiant les conditions de création et de fonctionnement des centres de santé, une ordonnance publiée le 12 janvier 2018 n’a fait qu’accroître le risque encouru par la patientèle du secteur dentaire.
La loi actuelle permet en effet des dérives évidentes, liées à des questions financières et de mauvaises pratiques, qui peuvent se solder par de lourdes conséquences sanitaires, économiques et psychologiques pour les patiente.s. Le volume de patients potentiellement impactés par ces scandales de masse est considérable car proportionnel aux capacités d’accueil du ou des centres, surtout quand ces derniers pratiquent l’abattage. A chaque fois, les victimes partagent le même sentiment d’avoir été escroquées, maltraitées, mutilées et abandonnés à leur sort pour satisfaire des objectifs de rentabilité. De manière systématique, les victimes ont l’impression d’avoir été dégradées en objets, réifiées au lieu d’être considérées comme des sujets de soins. L’absence d’anticipation du législateur sur les conséquences de la loi Bachelot et l’absence de prise en charge institutionnelle adéquate (par les pouvoirs publics et les acteurs de santé : ARS, Ordre des Chirurgiens-Dentistes) dans la période entourant les fermetures administratives ou la liquidation nourrissent toujours un fort sentiment de colère et d’injustice.
Au fond, ces scandales forment essentiellement une hyperbole, l’empreinte d’une manière « d’habiter » le secteur dentaire, où certains individus peu scrupuleux peuvent faire du profit en dévoyant la loi et en exploitant des patients passés à l’heure d’une médecine à plusieurs vitesses. Se pose alors une question de société : quel secteur dentaire voulons-nous pour nous-mêmes et les générations à venir ? Comment faire pour que les soins ne soient pas assimilés à des « biens de consommation » et les patients considérés comme des « consommateurs de soins ? Comment éviter la survenue d’autres scandales de masse ?
Bien que le scénario de ces scandales dentaires semble devoir être écrit d’avance, il n’y a pas de fatalité pour autant : il faut revoir la loi, faute de quoi les mêmes causes engendreront les mêmes conséquences. A ce titre, les propositions de notre association, La Dent Bleue, s’inscrivent résolument dans le sillage du rapport 2016-105R de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les centres de santé dentaire, listant « des recommandations utiles visant à prévenir les dérives mises à jour, afin de garantir une offre de soins dentaires accessible et sûre. » Nous pensons qu’il est désormais devenu urgent de suivre ces consignes et de les prolonger en conduisant de profonds changements législatifs et réglementaires. Les modifications à opérer en priorité sont les suivantes (liste non-exhaustive) :
• Restaurer l’agrément préalable à l’ouverture, pour décourager les fondateurs les moins motivés par la dimension médico-sociale du centre, et éviter que ce dernier fonctionne comme une société commerciale déguisée
• Exiger la déclaration des liens et conflits d’intérêts, pour éviter que des sociétés privées en lien avec les centres de santé dentaire servent de canaux pour faire sortir l’argent de l’association à but non-lucratif
• Faire en sorte que les centres de santé dentaire soient fondés et administrés par des professionnels de santé diplômés (et non pas exclusivement par des professionnels issus d’autres secteurs comme la finance, le commerce…)
• Limiter le nombre de centres appartenant à une même enseigne pour éviter les transferts de trésorerie et la « transhumance » de patientèle
• Inclure au niveau du CA de l’association des personnalités extérieures (ex : observateur appartenant à l’ARS, élus locaux, membres de groupements de patients et d’usagers) et/ou un « comité d’éthique » (renfermant des experts-comptables ou des commissaires aux comptes) veillant au bon fonctionnement de la structure et chargées d’alerter en cas de pratiques non-vertueuses ou illicites
• Instaurer la possibilité de conduire davantage de contrôles, plus fréquemment, portant sur davantage de points, aussi bien sanitaires que financiers (dans l’esprit des CODAFs - Comités opérationnels départementaux anti-fraude – récemment mis en place)
• Favoriser le droit du patient à l’information, aux plans prophylactique (règles d’hygiène), thérapeutique (consentement éclairé après compréhension du plan de traitement), économique (conditions d’encaissement du montant des soins), matériel (ex : traçabilité des implants et prothèses), réglementaire (ex : règles de stérilisation) et en cas de litige (affichage dans les salles d’attente des voies de recours en cas d'insatisfaction ou de soins problématiques)
• Clarifier les règles d’exercice du dentiste salarié en centre de santé dentaire associatif, avec contrôle de l’assurance RCP (Responsabilité Civile Professionnelle) souscrite de manière individuelle par le praticien, qui devra être clairement identifiable (nom, prénom, qualifications)
• S’assurer que toute l’équipe soignante possède une qualification médicale reconnue (par des diplômes et certificats de compétences)
• Bannir le pilotage par tableau de bord (implémentation de métriques commerciales et d’indicateurs de performance) et dégager l’activité du dentiste-salarié de tout objectif de rentabilité ; le cas échéant, faire sanctionner lourdement le surtraitement
• Faire en sorte que l’implantologie (et les traitements globaux implants + prothèse) ne soient plus un angle mort de la politique de santé publique (ce que le RAC0 est venu confirmer sans toutefois apporter de solution adéquate)
• Revoir la procédure de conservation et de transmission des dossiers médicaux, qui doivent suivre les patients
• Élaborer une procédure pour recenser et gérer les refus de soins et éviter toute forme d'ostracisation de la patientèle
• Veiller à ce que les centres de santé dentaire suivent une éthique financière et bancaire rigoureuse
• Revoir le périmètre du principe de confraternité et les conditions de réalisation des expertises médico-judiciaires ou amiables, pour éviter qu’elles ne tournent systématiquement en défaveur du patient
• Inciter les chirurgiens-dentistes officiant en centres de santé (et ailleurs) à suivre des formations en art dentaire tout au long de leur carrière et à se former dans le domaine de l’accompagnement humain.